Cet article examine ce que la recherche nous dit du dessin dans la pédagogie. Il est accompagné des liens vers les sources consultées qui sont également valables pour le podcast.

1- ARTICLE

Introduction

Depuis toujours, le dessin est un outil privilégié de représentation d’objets concrets et d’idées abstraites. Dans son article “Mémoire des images et double codage, Alain Lieury (1995) fait remarquer qu’au Vème siècle avant notre ère, le poète grec Simonide de Céos avait inventé une technique de mémorisation par l’image qui consistait à ‘transformer en images les éléments que l’on doit apprendre, et à placer chacune d’elles dans les emplacements d’un itinéraire connu’. Mais l’histoire n’a pas retenu cette leçon et la pédagogie a pour longtemps oublié les bienfaits de l’image pour des raisons diverses. Aujourd’hui, avec la pédagogie de projet et les méthodes d’apprentissage dites actives, le dessin revient à la charge. Dans une civilisation de l’image et de l’afflux d’informations, il ne pouvait en être autrement. Quand il s’agit d’enseigner une langue étrangère, le dessin (ou l’image) est un support privilégié car il décrit, suggère, explique, dénonce et aide à travailler toutes les compétences langagières.

Quels types de dessins ?

Mais depuis l’antiquité, le dessin a grandement évolué. Aujourd’hui, il ne se crée pas uniquement à la main mais aussi avec des outils informatiques. On parle alors de dessin digital, ces dessins peuvent être réalisés grâce à des applications en ligne ou grâce à des logiciels sur tablette. A la main, on peut réaliser des dessins de type sketchnoting (une technique de facilitation graphique permettant la prise de notes visuelles) et bien d’autres encore que l’on connaît déjà.

Mais que nous dit la recherche sur le dessin dans la pédagogie ? La théorie du double codage.

Le premier concept à examiner est celui du double codage (Dual coding theory). Cette théorie a été mise au jour par Paul Fraisse en France (de 1968 à 1987) et Allan Paivio au Canada (1971), deux chercheurs en psychologie. Elle est essentiellement attribuée à Allan Paivio. De quoi s’agit-il? L’idée de départ est que la formation d’images mentales facilite l’apprentissage et ceci de deux manières différentes : les associations verbales et l’imagerie mentale. Selon Paivio, les informations verbales et visuelles sont traitées dans des canaux différents de l’esprit humain créant des représentations séparées. Le fait d’avoir deux ‘systèmes’ de mémorisation (image et mot) permet au sujet apprenant de récupérer l’information soit en même temps, soit ultérieurement. L’information n’est pas perdue. La mémoire traite et stocke ces informations sous deux formes grâce à des codes visuels et verbaux. Ainsi, si j’ai stocké le concept de ‘fleur’ à la fois comme mot et comme image, j’ai deux possibilités de le rappeler si besoin est. La recherche constate pour l’instant que seuls les mots et les images sont utilisés dans la représentation mentale. Les travaux d’Allan Paivio ont des implications dans de nombreux domaines comme l’ergonomie digitale, l’e-learning ou les sciences cognitives. On peut supposer que l’apprentissage est grandement amélioré quand on couple l’image au mot à la fois quand les apprenants dessinent leur propre représentation et quand on leur demande de générer leur propre image mentale des concepts, (Lutz Alesandrini), 1981. Mais les stratégies des apprenants peuvent varier. Kathryn Lutz Alesandrini a mené une expérience au cours de laquelle les apprenants devaient étudier un chapitre de sciences soit en le paraphrasant, soit en le dessinant. On leur a également demandé d’être analytiques (en se concentrant sur les détails) ou holistiques (en considérant que les détails font partie d’une totalité). Les résultats ont été appréciés en termes de capacité verbale et picturale et en termes de préférence des apprenants pour une pensée soit visuelle soit verbale. Les résultats ont révélé que l’option du dessin réalisé par l’apprenant n’était pas vraiment convaincante et que, globalement, l’apprentissage des sciences se voyait facilité lorsque l’on montrait des images pertinentes plutôt que lorsque l’on demandait aux apprenants de dessiner leurs propres images. Une autre leçon tirée de cette expérience est que les approches holistique ou analytique n’ont eu que peu d’effet sur l’apprentissage car les apprenants ne peuvent réaliser ces tâches sans entraînement préalable.

La théorie propositionnelle de Anderson et Bower

Ce qui est discuté c’est bien la représentation et la perception de l’image dans notre cerveau. Les “éléments” qui peuvent entrer en ligne de compte sont la complexité de l’image, le temps d’exposition de l’apprenant à celle-ci, les processus mentaux de dénommage ou de mental scanning, entre autres. La théorie propositionnelle de Anderson et Bower stipule que les représentations mentales sont stockées sous forme de ‘propositions’ et non d’images. L’image interviendrait après que d’autres processus cognitifs sont entrés en jeu. Ainsi, le même poids n’est pas attribué aux processus verbaux et non verbaux, ce qui contredit la théorie du double codage. Dans “Image mentale et représentation propositionnelle” (1994), Jean-Michel Fortis conclue : “Ce que l’image présentifie est distinct de son interprétation. En amont, l’interprétation peut être guidée par une consigne verbale; en aval, elle est déterminée par les processus d’interprétation de propriétés perceptives émergeant de la ‘lecture’ de l’image”.

Quelles applications concrètes pour les langues ?

La littérature que j’ai lue se concentre principalement sur l’apprentissage des sciences via le dessin (ou les images). On peut néanmoins appliquer certains de ces résultats aux langues. Dans “Drawing boundary conditions for learning by drawing”(2018) les chercheurs expliquent que dessiner peut être cognitivement exigeant et chronophage et que les apprenants peuvent ne pas produire des dessins efficaces s’ils n’ont pas un guidage suffisant. Néanmoins, les résultats de leurs recherches indiquent que la création de dessins par les apprenants entraîne une meilleure compréhension et un meilleur transfer par rapport à la lecture simple du texte. On a pu voir que le dessin est largement utilisé dans nos manuels scolaires pour figurer des objets ou des situations et que nombres de tâches finales consistent en une représentation picturale de connaissances mais aussi d’idées. Les cartes mentales par exemple, sont un bon moyen d’acquérir du vocabulaire et de le mémoriser. Les bandes dessinées peuvent être l’occasion pour les élèves de rédiger des textes en langue cible de manière plus ou moins élaborée mais peuvent également être un support à l’expression orale. Le dessin réflexif (dessin permettant à l’apprenant d’exprimer des souvenirs ou des idées) est également un outil important dans l’activité de réflexion mais aussi dans la pratique écrite ou orale de la langue et peut se rapprocher du sketchnoting. Dimitra Tzatzou (2021) a recueilli les réflexions et pratiques d’enseignants avec des élèves étrangers ; certains proposent aux élèves de dessiner collectivement pour une valorisation de l’expérience de ceux-ci mais aussi pour le développement des compétences sociales ; et ceci dans une langue qui leur est étrangère (page 26).

Où trouver une information pertinente sur le sujet ?

L’université de Cambridge propose un grand nombre d’activités liées au dessin qui vont jusqu’au niveau B1. On y trouve des propositions de déroulés, des imagiers (jusqu’au niveau A2) et des listes de vocabulaire.

Le Canope de Bezançon propose un pdf plutot complet sur les apports pédagogiques du sketchnoting. On y trouve des exemples de notions illustrées par cette technique et on y fait même connaissance avec le Bujo; aussi appelé le Bullet journal qui est une manière imagée de représenter son organisation personnelle, son agenda...cela peut être une autre idée d’exercice à la disposition du professeur de langue.

Tout récemment (2021), le CREA (Centre de recherches anglophone) a organisé une journée centrée sur le dessin dans l’apprentissage des langues avec des ateliers variés sur les pratiques actuelles montrant ainsi que l’éducation nationale s’empare de ce sujet pour le bien des enseignants mais aussi des élèves. Les publications sont à paraître en 2023 dans la revue Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité- Cahiers de l’APLIUT. Lien du programme de la journée ici